Lundi 24 juillet 2023, deuxième journée de la conférence IAS 2023 à Brisbane. Que de chemin parcouru dans les traitements VIH depuis l’arrivée des trithérapies efficaces en 1996, l’occasion de faire un tour d’horizon des traitements en cours d’essais dans le monde.

Fred Lebreton, Luis Sagaon-Teyssier, Buno Spire

Nouveaux traitements VIH, nouvelles stratégies

La Dre Claudia Cortes est spécialiste en maladies infectieuses et en médecine interne. Depuis 2005, elle s’est consacrée au VIH/sida tant dans les soins que dans la recherche. Elle occupe un poste de professeure associée à l’Université du Chili. Dans sa présentation, la chercheuse est revenue sur l’histoire des traitements VIH depuis l’arrivée des trithérapies efficaces en 1996 jusqu’aux traitements actuels et aux molécules de demain.

Actuellement vingt-deux molécules plus deux boosters sont disponibles. L’espérance de vie des PVVIH est désormais très proche de la population générale. Mais, il y a les soucis d’observance (dépression, lassitude de prendre des comprimés tous les jours, etc.). Nous avons donc besoin de nouvelles options. Ces nouveaux médicaments doivent être accessibles, sûrs et pratiques. Le traitement doit améliorer la qualité de vie au-delà de l’efficacité immuno-virologique et garantir l’effet Tasp (Indétectable = Intransmissible). Il existe plusieurs dispositifs technologiques possibles : anneaux, implants, molécules injectables. Les défis sont la mise à disposition de larges volumes de ces outils, le besoin d’un lead-in (période d’induction du traitement), la question de la « queue pharmacocinétique » et les risques en cas de grossesses. Les implants sont bien connus, mais chers et ils nécessiteraient un-e professionnel-le pour les poser. Le patch serait plus facile à mettre, mais plus compliqué à concevoir.

Traitements injectables

À ce jour, deux traitements injectables sont disponibles dans certains pays comme la France :

  • Une bithérapie à base de deux molécules le cabotégravir (nom commercial Vocabria) et la rilpivirine (nom commercial Rekambys) injectée tous les deux mois, un médicament dans chaque fesse ;
  • le lenacapavir (nom commercial Sunlenca) en solution injectable, deux fois par an, pour le traitement de l’infection par le VIH, en association avec un ou plusieurs autres antirétroviraux, chez des adultes infectés-es par une souche de VIH-1 multirésistante aux autres traitements pour lesquels-les il serait autrement impossible d’établir un schéma de traitement antirétroviral efficace.


Et demain ?

Une dizaine de molécules sont en phase de recherche I/II. Des études commencent chez le singe avec des molécules, administrées une fois par an. D’autres études sont à des phases plus avancées comme les suivantes :

Bithérapie doravirine + islatravir aussi efficace que Biktarvy
L’islatravir est le premier inhibiteur nucléosidique de la translocation (INTTI : une nouvelle famille d’antirétroviraux) à être développé pour le traitement de l’infection par le VIH. Cette molécule a la capacité de rester longtemps dans l’organisme. Après une pause dans les essais, suite au constat d’une lymphopénie (taux anormalement bas des lymphocytes CD4, cellules jouant un rôle immunitaire important), les essais ont repris en septembre 2022. Les résultats de plusieurs essais comprenant l’islatravir ont été présentés. Notamment, un essai de phase III à 48 semaines qui comparait l’efficacité d’un switch depuis la trithérapie TAF/BIC/FTC (nom commercial Biktarvy) vers la bithérapie doravirine + islatravir (DOR/ISL) chez des patients-es sans mutations de résistance. L’étude MK-8591A-020 a recruté des adultes vivant avec le VIH non traités auparavant, avec une charge virale détectable supérieure à 500 copies/ml. L’étude excluait les personnes atteintes d’hépatite B ou présentant des mutations majeures de résistance à n’importe quelle classe d’antirétroviraux. L’étude a recruté 597 personnes dans 13 pays (32 % en Europe, 22 % en Amérique du Nord, 23 % en Amérique latine et 18 % en Afrique du Sud). Les participants-es de l’étude étaient principalement des hommes (environ 75 % dans chaque groupe d’étude) et un peu plus de la moitié des participants-es (57 %) étaient blancs-hes. Les résultats sont les mêmes : 88 % des participants-tes ont atteint une charge virale indétectable dans le groupe DOR/ISL versus 87 % dans le groupe Biktarvy. Très peu d’effets indésirables. Pas de différence en termes de prise de poids. En résumé, après 48 semaines, la combinaison ISL/DOR est aussi efficace que la combinaison Biktarvy  chez les personnes vivant avec le VIH qui n’avaient jamais pris de traitement antirétroviral.

Islatravir + lenacapavir
Essai de phase II évaluant la bithérapie islatravir + lenacapavir en prise orale hebdomadaire. Cette bithérapie à longue durée d’action fait partie des options les plus prometteuses dans le traitement du VIH.

Lenacapavir + anticorps monoclonaux tous les six mois
Dans cet essai de phase I, le lenacapavir était associé à deux anticorps largement neutralisants qui se fixent sur deux endroits différents de l’enveloppe (90 % des virus sont sensibles à au moins un des deux). Une étude pilote a été menée avec deux doses différentes d’un des anticorps et une seule dose de lenacapavir, plus des comprimés en oral. Les anticorps se donnent par voie intraveineuse. Au total : 21 participants-es qui avaient une charge virale indétectable au départ et chez lesquels-les on a vérifié la sensibilité aux anticorps. Une seule personne s’est retirée tout de suite pour revenir à un traitement oral, une en cours d’essai. Dix-huit des dix-neuf participants-es ont conservé une charge virale indétectable à six mois. Pas d’intolérance significative et des CD4 stables. Les concentrations de médicament ont décliné très lentement dans le sang et sont restées au-dessus des seuils efficaces. Pour l’échec, il est survenu à 14 semaines, on essaie de comprendre pourquoi, le test de résistance n’a pas marché.

Quid des adolescents-es ?

Les adolescents-es notamment les filles sont une population clé en Afrique subsaharienne. Les adolescents-es qui vivent avec le VIH sont moins couverts-es par les ARV. Pour les adolescents-es, il faut régler les problèmes de doses à injecter, les questions de tolérance, la facilité d’administration, la facilité pour enlever d’éventuels implants et la discrétion. Aux États-Unis, il y a un fort désir des traitements injectables à longue durée d’action chez les adolescents-es, surtout chez ceux et celles qui ont des problèmes d’observance avec les autres modalités de prise. Un essai a été fait aux États-Unis avec la bithérapie cabotégravir + rilpivirine en injections tous les deux mois. Très bonne perception, seuls les soucis à long terme sont rapportés par les adolescents-es. Ce traitement est désormais approuvé pour les plus de 12 ans. Il y a cependant des critères d’éligibilité et 40 % des adolescents-es sont inéligibles ; pour les autres, ça se discute à cause de l’acceptabilité du suivi ou d’un IMC (indice de masse corporelle) trop important (risque de piquer dans le gras et non dans le muscle). Cela nécessite aussi une gestion stricte des plannings pour les injections.

Rémission du VIH chez cinq garçons nés avec le VIH

Une étude en provenance d’Afrique du Sud montre que les antirétroviraux peuvent commencer à agir comme traitement pour les enfants séropositifs, même dans l’utérus. Le résultat peut être, dans certains cas, des jeunes contrôleurs-ses post-traitement : des enfants qui continueront à maintenir des charges virales indétectables sans prendre de traitement ARV. Les chercheurs-ses ont identifié cinq garçons nés avec le VIH qui ont maintenu une charge virale indétectable malgré une faible observance, voire dans certains cas, une non-observance du traitement antirétroviral. Cette découverte a finalement conduit les chercheurs-ses à conclure que les garçons pourraient avoir de meilleures chances de rémission soutenue que les filles en raison de différences sexuelles immunitaires innées. Présentée par Gabriela Cromhout de l’Université du KwaZulu-Natal, l’étude a suivi 281 paires mère-enfant suite à la transmission du VIH in utero. L’objectif principal de l’étude était de déterminer si les enfants traités très tôt pouvaient atteindre un contrôle post-traitement du VIH sans interventions supplémentaires, et le cas échéant, quels mécanismes pourraient contribuer à cela.

Tous les enfants de l’étude ont reçu un traitement antirétroviral dès la naissance ; 92 % ont également reçu des antirétroviraux avant la naissance par le biais de leurs mères. L’étude a révélé que le maintien du contrôle viral dépendait fortement de l’observance du traitement antirétroviral, indépendamment de la charge virale plasmatique de base de l’enfant. Au fil du temps, cinq garçons ont été identifiés comme maintenant le contrôle viral — allant de 3 à 19 mois — malgré une non-observance persistante du traitement antirétroviral. Cela n’a pas été observé chez les filles, même si la cohorte était composée à 60 % de filles. L’équipe de recherche a conclu que des interventions immunitaires distinctes, prenant en compte les différences immunitaires précoces entre les sexes, sont essentielles pour optimiser le potentiel de guérison du VIH chez les enfants.

Soutien socioéconomique pour le traitement de la tuberculose

La tuberculose latente doit se traiter par l’isoniazide, un antibiotique utilisé en première intention pour la prévention et le traitement de la tuberculose latente et de la tuberculose active (pendant six mois pour les personnes vivant avec le VIH). Une étude menée en Tanzanie et présentée par la Dre Carol Farey a montré que lorsqu’il y avait des incitations financières, les personnes restaient plus dans le soin même s’il y a toujours 10 % de personnes perdues de vue. Un algorithme a pu montrer que cela dépendait de la santé perçue, la dépression, l’éducation et l’emploi. Une intervention a eu comme but de renforcer les incitations financières pour les personnes à risque d’être perdues de vue. Un essai où les structures de soins ont été randomisées (partagées en deux groupes au hasard). Dans le groupe interventions : lien par SMS renforcés avec le médecin + incitations financières lors des visites. Résultats : 67 % des personnes qui étaient dans le groupe interventions ont eu un suivi complet versus 52 % dans les centres faisant le suivi classique.

Maladies cardiovasculaires : une nouvelle statine

De nombreuses études ont montré que les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont plus exposées aux maladies cardiovasculaires. Cette disparité peut s’expliquer par une inflammation chronique, les effets indésirables de certains médicaments antirétroviraux et des taux plus élevés de facteurs de risque traditionnels, tels que le tabagisme. Les statines, qui abaissent le taux de cholestérol, se sont révélées efficaces pour réduire le risque d’infarctus, d’autres événements cardiovasculaires et de décès dans la population générale, mais leurs avantages pour les PVVIH n’étaient pas établis spécifiquement. L’étude Reprieve, un vaste essai mondial testant une statine pour les PVVIH présentant un risque faible à modéré de maladie cardiovasculaire, a été interrompue plus tôt que prévu après que les résultats intermédiaires ont montré que la pitavastatine réduisait de manière significative le risque de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et d’autres événements cardiovasculaires majeurs ». L’essai Reprieve, a commencé en 2015. Il s’agit du plus grand essai randomisé sur le VIH à ce jour. Il a été mené dans douze pays d’Amérique du Nord et du Sud, d’Europe, d’Afrique et d’Asie. L’étude a recruté près de 7 800 personnes vivant avec le VIH, âgées de 40 à 75 ans, qui suivaient un traitement antirétroviral stable et dont le nombre de CD4 était supérieur à 100/mm3. Près d’un tiers d’entre elles étaient des femmes. Les participants-es ont été répartis-es au hasard dans deux groupes : un groupe qui prenait un comprimé de pitavastatine et un autre groupe qui prenait un placebo, une fois par jour. Ils-elles ont été suivis-es pour les événements cardiovasculaires majeurs, y compris l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral. Les PVVIH ayant pris de la pitavastatine présentaient un risque d’événements cardiovasculaires majeurs inférieur de 35 %, ce qui rendait contraire à l’éthique le maintien des autres participants-es dans le groupe prenant le placebo. Les effets indésirables étaient similaires à ceux observés dans la population générale. Cette statine est en cours de mise sur le marché.

Comment la communauté aborigène fait face au VIH

James Ward est un homme pitjantjatjara et nukunu, épidémiologiste des maladies infectieuses et leader de la recherche sur les peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torres. Il est actuellement directeur du Centre Poche pour la santé autochtone à l’Université du Queensland (Australie). Dans diverses fonctions au cours des 25 dernières années dans la politique de santé publique autochtone, il a développé un programme national de recherche en épidémiologie et en prévention des maladies infectieuses, avec un accent particulier sur les infections sexuellement transmissibles, le VIH et l’hépatite virale dans les communautés aborigènes et insulaires du détroit de Torres. Dans sa présentation, James Ward a expliqué que les aborigènes d’Australie ont davantage d’IST et sont plus à risque de contracter le VIH. Ceci est lié à l’histoire de la colonisation et aux inégalités qui perdurent. Dans les années 20, les Aborigènes avec des IST étaient enfermés-es dans des hôpitaux horribles avec la pratique d’expérimentations qui n’étaient pas éthiques. Cela a laissé des traces dans la communauté aborigène encore aujourd’hui. Il y a aussi la croyance que les IST sont dues à des viols d’enfants. La communauté aborigène a produit beaucoup d’infos et de ressources pour se prémunir du VIH qui circulait dès les années 80. Des projets communautaires faits par et pour les jeunes de la communauté aborigène permettent de lutter contre le VIH et les IST en créant des vidéos internet. Un réseau de 40 cliniques IST aborigènes permet la formation et la surveillance et l’information pour les professionnels-les (une sorte de Corevih aborigène). Ce réseau organise la semaine de sensibilisation du VIG (HIV awareness week) pour faire monter en compétences la communauté. La surveillance grâce aux données des sites et de la notification permet d’identifier les régions où les infections sont les plus actives, avec un retour vers la communauté de ces résultats.

Philippines : Prep à domicile

Danvic Rosadiño est le directeur des programmes et des innovations de LoveYourself Inc., une organisation communautaire basée dans la métropole de Manille (Philippines). Danvic Rosadiño explique que depuis l’introduction de la Prep dans le pays en 2017, le programme compte plus de 10 000 usagers-ères. Dans un contexte où le taux de transmission du VIH est élevé, il est important de mettre en œuvre des modèles alternatifs pour élargir la distribution de la Prep, notamment de programmes permettant l’accès aux personnes avec des difficultés pour se déplacer vers les cliniques. Pour cela, l’étude e-PrEPPy, réalisée au sein de l’ONG LoveYourself, propose un programme virtuel et démédicalisé pour la distribution de la Prep en milieu communautaire auprès des HSH. Les HSH intéressés par la Prep reçoivent un autotest à leur domicile avec des instructions précises pour son utilisation et la transmission des résultats. Ensuite, si le test est négatif, ils complètent un auto-questionnaire évaluant leurs comportements sexuels, ainsi que des éventuelles maladies rénales. Des pairs valident ces informations et font un counseling détaillé sur la Prep aux HSH potentiellement éligibles via des téléconsultations. Une fois que l’éligibilité est confirmée, les HSH reçoivent la Prep et un nouvel autotest pour le VIH à leur domicile avec un QR code où ils peuvent consulter les instructions pour le renouvellement de la Prep. Les autotests sont utilisés pour le suivi clinique. Entre août 2022 et avril 2023, 230 HSH ont initié la Prep dans le cadre du programme virtuel. Cela représente environ 10 % du total de HSH ayant manifesté leur intérêt via le programme virtuel et le processus d’autotest. Parmi eux, 100 HSH ont complété leur premier mois d’utilisation de la Prep dont 92 adoptant un régime « en continu ». L’étude e-PrEPPy démontre la faisabilité d’un programme virtuel et démédicalisé pour la dispensation de la Prep en milieu communautaire.

Zimbabwe Prep à la demande faisable

Precious Moyo est coordinatrice de programme chez Pangaea Zimbabwe AIDS Trust. Elle explique que le Zimbabwe a réalisé des progrès importants en termes de contrôle de l’épidémie du VIH avec une réduction de 70 % du nombre de nouvelles infections depuis 2010. Les populations clés, notamment les HSH, restent des populations très exposées au risque de contracter le VIH. La Prep est actuellement recommandée au Zimbabwe. Cette présentation concerne une étude pilote pour montrer la faisabilité et l’acceptabilité de la Prep à la demande parmi les HSH à Harare, la capitale du Zimbabwe. Il s’agit d’une étude de cohorte réalisée entre novembre 2022 et avril 2023. Des méthodes qualitatives et quantitatives ont été mobilisées. Au total, 196 HSH ont initié la Prep pendant les six premiers moins de l’étude. Parmi eux, 10 % ont préféré un changement vers la Prep en continu motivé par des rapports sexuels non planifiés la plupart du temps. La Prep à la demande est restée utilisée par 87.5 % des participants un mois plus tard, et par 74 % trois mois plus tard. Aucune séroconversion n’a été observée pendant la période d’étude. La Prep à la demande est faisable au Zimbabwe et les HSH adaptent le choix de régime en fonction de leur prise de risque.

Traitements ARV en milieu communautaire

Cet article est tiré de Séronet.