Alain et Benoit : un dialogue autour du VIH
Alain a 71 ans, il vit avec le VIH depuis 1987. Benoit a 26 ans, il vit avec le VIH depuis 2021. Ils ne se connaissent pas et ils ont accepté de se prêter au jeu de l’entretien croisé.
Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie, les premiers temps ?
Alain : J’avais eu une relation sexuelle avec un couple gay, dont l’un des deux était séropo, et qui me l’avait dit. Ce qui fait qu’en fait, je n’en ai jamais voulu à personne parce que je savais le risque que je prenais. On se protégeait, mais la capote a craqué. Je suis allé à Médecins du Monde dans le 13eme [arrondissement de Paris, ndlr] en septembre 1987 pour faire un dépistage. Et quand on m’a annoncé que j’étais séropositif, je me suis vu mourir dans l’année qui suivait. J’ai vu la mort en face. J’ai ressenti ça comme une injustice de contracter le VIH lors de mon premier accident de capote. Heureusement, j’avais une famille ouverte et ça m’a beaucoup soutenu de pouvoir en parler ; et que ça ne soit pas un sujet tabou.
Benoit : Alors moi, je sortais d’une longue relation de quasiment quatre ans puis d’une période de célibat. Et j’étais dans un début de nouvelle relation avec quelqu’un et ça se passait très bien. Et à un moment donné, je suis tombé malade et lors de ma consultation avec le médecin, j’en ai profité pour lui demander une ordonnance pour faire le bilan VIH/IST. J’étais persuadé de ne rien avoir puisque je sortais d’une relation que je pensais exclusive et après je n’avais eu que des plans protégés. J’ai découvert par la suite que mon ex n’avait pas été exclusif et avait mené une double vie pendant notre relation. Je suis allé au laboratoire de Périgueux pour faire mes tests et j’attendais les résultats qui tardaient à venir. Je me suis connecté au site internet du laboratoire pour voir les résultats en ligne, et là, j’ai vu une ligne qui indiquait « test de confirmation ». Je me suis dit direct : « Ça sent pas bon ces histoires ». J’ai rappelé le laboratoire et j’ai senti que la secrétaire du labo n’était pas à l’aise au téléphone. Elle m’a passé un biologiste qui m’a annoncé : « C’est normal que vous n’ayez pas encore les résultats. Le test est revenu positif au VIH et, là, il est en cours de confirmation ». Je suis tombé des nues et la terre s’est écroulée sous mes pieds. Pour moi, c’était la catastrophe. À ce moment-là, j’aurais voulu mourir. J’avais en tête une vie de galères avec des traitements très lourds et très contraignants et une espérance de vie raccourcie. Je me rends compte avec du recul que j’étais vraiment mal informé. Je ne connaissais même pas la différence entre VIH et sida ! Et c’est la même chose chez mes potes. Du coup, je me suis retrouvé à faire de la pédagogie auprès de mon entourage.
Alain : C’est assez incroyable que les jeunes aujourd’hui à qui ça arrive aient encore une image du sida comme si on était dans les années 80-90. Alors que la situation a complètement changé. Quelqu’un qui prend bien son traitement a une espérance de vie équivalente à la population générale, parce qu’on est très suivi. Donc, s’il nous arrive quelque chose, on le repère assez vite.
Benoit : C’est clair ! Heureusement, j’étais vraiment bien entouré, que ce soit mon mec ou ma famille qui m’ont beaucoup soutenu et accompagné les premières semaines. Et au final, les jours ont passé. J’ai cherché des infos. Je me suis rapproché d’associations, notamment AIDES, et j’ai été rassuré assez rapidement, en fait.
Qu’est-ce que le VIH vous a empêché, ou au contraire permis, d’accomplir dans votre vie ?
Benoit : Moi, ça m’a redonné confiance en moi, avec le temps. Parce que très vite, je suis devenu militant. J’ai été diagnostiqué en octobre 2021 et le 1er décembre de cette même année, j’ai rencontré des militants de AIDES. Comme je suis très branché réseaux sociaux, j’ai aussi commencé à suivre des militants actifs sur les réseaux et ça m’a donné envie de me lancer dans des projets personnels, notamment un podcast. Le VIH m’a donné envie de m’engager, de créer des choses et d’utiliser mon métier pour en parler. Je travaille dans les médias où je suis animateur radio. Le VIH a changé clairement mon quotidien parce que ça prend une grosse partie de ma vie aujourd’hui, mais dans le bon sens. Et puis je suis devenu volontaire à AIDES Périgueux en 2022.
Alain : Moi aussi, j’ai été volontaire chez AIDES en 1985/1986, avant même d’être diagnostiqué séropositif. J’ai accompagné pendant plusieurs mois un homme en stade sida, jusqu’à son décès. Il était très seul et je crois avoir été d’un grand secours pour lui. Par la suite, j’ai rencontré d’autres associations comme Actions Traitements et j’ai assisté à de nombreuses conférences de toutes sortes. Professionnellement, j’ai travaillé pendant des années à la surveillance du musée du Louvre, mais parfois, je me demande quel autre métier j’aurais pu faire si je n’avais pas eu le VIH… J’aurais peut-être fait autre chose. Et puis, à cause du VIH, je n’ai pas pu faire aboutir mes projets immobiliers. Autour de moi, aujourd’hui, la plupart de mes amis sont propriétaires et moi, je vis encore en HLM.
Benoit : Mais à l’époque où tu l’as appris, le contexte était très différent. Est-ce qu’il t’est arrivé d’avoir peur parfois ?
Alain : Oui, bien sûr. À cette époque, on avait peur d’être en stade sida et peur d’en mourir. En 1987, quelques semaines après la découverte de ma séropositivité, j’ai rencontré Bob et on est tombés amoureux. J’avais beaucoup de difficultés à lui annoncer que j’étais séropo et puis, un jour, il m’a vu tellement mal à l’aise qu’il m’a dit : « T’inquiète pas ; moi aussi, je le suis ». On a vécu six ans ensemble, mais il a basculé en stade sida la dernière année et son état s’est vite dégradé. Il a perdu 20 kg en trois mois et puis il est mort en juillet 1993. Ça a été très dur pour moi.
Avez-vous connu la sérophobie ?
Benoit : La seule fois où j’y ai été confronté, c’était avec du personnel soignant. La première fois que j’ai fait mes analyses au laboratoire à Périgueux, la personne qui fait les prélèvements regarde l’ordonnance et me dit : « C’est quoi, ça ? ». Je ne réponds pas au début. Elle me dit : « C’est une hépatite ? ». Je lui réponds non, a priori, « charge virale VIH, c’est le VIH ». Elle me demande : « Mais comment vous avez chopé ça? ». Je ne réponds pas et elle ajoute : « Une erreur de jeunesse ? ». Quand je raconte ça à mes potes, ils ne comprennent pas pourquoi ça m’a autant atteint, mais, en fait, c’était la première fois que je me suis senti jugé là-dessus. J’ai craqué en sortant du laboratoire. En rentrant chez moi, j’ai tout de suite fait un courrier à la direction du labo qui m’a présenté ses excuses par la suite.
Alain : La sérophobie, je la subis principalement sur les sites de rencontres gays. Les mecs te demandent si tu es « clean » ou disent clairement qu’ils ne veulent pas de séropo. Parfois, je fais de la pédagogie, mais c’est difficile de se voir rejeté à cause du VIH et puis il y a aussi le problème de discrimination par rapport à l’âge. On ne valorise pas tellement la vieillesse dans notre société. Donc mon âge est déjà un handicap ; alors si en plus, je dis que je suis séropo, plus personne ne voudra me rencontrer ! J’ai laissé tomber le préservatif il y a deux-trois ans, quand j’ai su vraiment qu’on ne transmettait pas le virus. Cela faisait 30 ans que j’utilisais le préservatif et j’en avais un peu marre. Du coup, il y a des fois où je dis que je prends la Prep. Je n’en suis pas très fier, mais c’est ma façon à moi de me préserver contre la sérophobie…
Benoit : C’est une stratégie de défense, en fait. Moi, je n’ai pas été confronté à la sérophobie sur les applis de drague car je vis en couple exclusif, mais je pense que si j’étais célibataire, je ne mettrais pas ma séropositivité sur mon profil. J’ai tellement vu passer d’horreurs sur les réseaux sociaux, notamment, sur le compte Instagram « Séropos vs Grindr, » [administré par Fred Lebreton et Julien Ribeiro, ndlr]. On a déjà assez de choses à gérer au quotidien pour ne pas rajouter cette charge mentale. On fait déjà de la pédagogie auprés de nos potes, de nos familles. Faire des heures de pédagogie pour un plan cul de 30 minutes, c’est parfois lourd.
Quelle place prend votre traitement VIH dans votre vie aujourd’hui ?
Alain : Je prépare mes comprimés le soir pour le lendemain. Je me prépare la journée. C’est un rituel et je n’y pense même pas. Je fais ça comme je prépare le café.
Benoit : Ton traitement a beaucoup évolué au fil des années ?
Alain : Oui, j’ai dû changer une dizaine de fois et j’ai connu des traitements assez toxiques comme l’AZT ou le Zerit dans les années 2000 qui rendaient les joues creuses. Pour atténuer cet effet, j’ai dû faire du New-Fill. Avec les années, j’ai eu beaucoup moins de cachets à avaler pour le VIH, mais je prends d’autres traitements contre l’ostéoporose, contre le cholestérol et pour améliorer la digestion.
Benoit : Je déteste avoir des contraintes, alors un traitement quotidien c’est compliqué pour moi. J’ai commencé avec une bithérapie mais il fallait que mon mec soit derrière moi pour prendre mes comprimés. C’est peut-être parce que c’est encore récent pour moi, mais quand je prends le cachet, je pense au VIH. Et puis la bonne nouvelle du traitement injectable est arrivée. J’ai fait les deux premières injections mais malheureusement, on m’a appelé hier pour repasser aux comprimés. Le traitement injectable ne fonctionne pas bien chez moi à cause du surpoids, notamment. J’étais à la limite des critères d’inclusion de poids pour cet essai. J’avais perdu du poids pour entrer dans ce protocole. Je suis déçu forcément car c’était un soulagement pour moi de ne plus prendre de cachets. Je relativise en me disant que j’ai de la chance d’avoir accès à un traitement efficace.
Alain : Moi, je ne suis pas intéressé par le traitement injectable. Déjà, car je n’aime pas les piqures et puis je suis en allègement thérapeutique avec des comprimés quatre jours sur sept et ça me va bien. Et de toute façon, même avec les injections j’aurais les autres comprimés à prendre. C’est bien que ça existe pour ceux qui ont du mal à prendre leurs médicaments.
Comment avez-vous découvert la notion I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans vos vies ?
Benoit : Quand j’ai découvert ma séropositivité, j’ai d’abord ressenti beaucoup de culpabilité par rapport à mon mec. J’espérais ne pas lui avoir transmis le VIH. Le soir de l’annonce, il m’a dit de faire une liste de toutes les questions que j’avais sur le VIH. Il a appelé Sida Info Service puis il m’a envoyé plein de liens. C’est lui qui m’a dit que si je prenais mon traitement, je ne pourrais pas lui transmettre. Je n’avais jamais entendu parler de ça avant que ça me tombe dessus. Je me suis rendu compte que l’information existe, mais on ne la voit pas tant qu’on n’est pas concerné. Très franchement, moi-même, j’aurais pu être sérophobe et refuser de coucher avec un mec en raison de sa séropositivité à une certaine époque car je n’étais pas informé.
Alain : Un jour, sur un site, un mec séronégatif m’a dit qu’il était plus rassuré de coucher avec un séropo avec une charge virale indétectable qu’avec un séroneg qui ne se fait jamais dépister. Et ça m’a fait super plaisir ! J’ai découvert la notion : Indétectable = Intransmissible en lisant des articles d’Actions Traitements, je pense. J’ai toujours suivi l’actualité autour des traitements pour me tenir informé. Le message est encore difficile à faire passer car seuls des médias et des assos communautaires en parlent. Abandonner la capote m’a fait un bien fou, mais ça n’était pas forcément facile au début et puis il y a la peur de contracter des IST. C’est le Dr Ohayon [directeur du centre de santé sexuelle Le 190 à Paris, ndlr], qui m’a rassuré. Il m’a expliqué que les IST se soignent bien et il m’a aidé à déculpabiliser.
Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre la génération « I = I » et celle des personnes qui vivent avec le VIH depuis les années 80/90 ?
Benoit : Au début, les difficultés que j’ai eues en arrivant chez AIDES, c’est que je me sentais pas à suffisamment légitime pour en parler avec des séropos plus anciens. Je me considère chanceux d’avoir eu ce parcours. Ma charge virale a été très vite indétectable. Un jour, j’ai eu un petit clash avec un ancien séropo. C’était une période où je ne me sentais pas bien par rapport au VIH et il m’avait fait la morale en me disant que je ne pouvais pas me plaindre par rapport à ce que lui avait vécu dans les années 80. Je lui ai expliqué que j’avais quand même le droit de me sentir triste et qu’il devait respecter mon ressenti et mon vécu. La situation s’est apaisée. Certes, je n’ai pas connu les années sida, mais apprendre à vivre avec le VIH restait difficile pour moi. Au final, je me suis rendu compte qu’il fallait qu’on échange chacun avec nos propres vécus. Chaque situation est complètement différente. Que ce soit hier ou aujourd’hui. On doit tous avancer dans le même sens.
Alain : Même si le contexte est très diffèrent, ça ne me viendrait pas à l’idée de dire à un jeune séropo qu’il ne faut pas qu’il se plaigne par rapport à ce que moi j’ai vécu. On doit pouvoir discuter entre générations. Je fais partie de Grey Pride, une association qui défend les droits des séniors LGBT. On fait en sorte que la séropositivité ne soit pas taboue sans pour autant aller demander aux personnes leur statut sérologique. On partage un local avec l’association Basiliade où sont accueillis des jeunes réfugiés. On favorise les relations intergénérationnelles. Il y a beaucoup d’âgisme dans notre société et je me sens plus discriminé en tant que vieux qu’en tant que séropo ! Pour renouer le dialogue, il faut se rencontrer. Je fais aussi partie des Galipettes, une association sportive LGBT qui propose notamment un créneau de gym douce et adaptée à un public sénior. On a fait un week-end à Bonneuil avec des personnes de toutes les générations et c’était très convivial. Je vais aussi au groupe de discussion « Sexe entre mecs » du Spot Beaumarchais [à Paris, ndlr]. J’y suis allé parce que ça m’intéressait d’avoir des échanges avec des mecs plus jeunes sur la sexualité et leur transmettre aussi mon expérience et mon ressenti. Bien souvent, les vieux se plaignent que les jeunes ne vont pas vers eux, mais c’est dans les deux sens. Il faut aussi que nous, on aille vers les jeunes. Ces échanges et ces rencontres m’apportent beaucoup.
Propos recueillis par Fred Lebreton.
Cet article est tiré de Séronet.