EGPVVIH 2024 : « RIEN POUR NOUS, SANS NOUS ! »
C’est un évènement. Les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, se déroulent du 25 au 27 mai à Paris. Après plus de 40 ans d’épidémie du VIH/sida, les EGPVVIH entendent être un « espace de dialogue créé par et pour les personnes concernées ». La rédaction de Remaides est sur place et retrace les moments forts. Premier épisode.
Fred Lebreton pour Remaides.
« Nous avons la responsabilité de ne pas participer à l’invisibilisation du VIH »
Samedi 25 mai 2024 midi, un hôtel près de Porte de Versailles. Une certaine effervescence règne dans le hall d’accueil de l’hôtel. Il faut récupérer son badge, un sac siglé du logo des EGPVVIH, remplir des formulaires : un sur le droit à l’image, un autre qui permettra de se faire une idée du groupe (Qui est venu-e ? Quels sont les profils des gens ?), récupérer son panier repas, etc. Certaines personnes reconnaissent des visages vus dans d’autres évènements associatifs. D’autres plus timides, ou moins habitués-es à ce genre de rassemblements, mangent tranquillement dans leur coin. Il y aura d’autres occasions pour briser la glace.
13h30, plénière d’ouverture. La salle est pleine. C’est un trio de femmes qui ouvre le bal. Et quel trio ! Catherine Aumond, présidente de AIDES Centre-Val de Loire, secrétaire générale de AIDES, Florence Thune, femme vivant avec le VIH et directrice générale de Sidaction et Camille Spire, présidente de AIDES.
Camille Spire donne le ton : « Nous n’allons pas vivre un week-end anodin. Ce n’est ni un congrès, ni un colloque, ni un séminaire. C’est un évènement par et pour les personnes vivant avec le VIH ». La militante insiste sur le fait que c’est un évènement qui a été imaginé par des PVVIH lors des journées nationales de AIDES et qu’il a été construit en inter associatif avec un « gros travail de mobilisation » en amont. Plusieurs centaines de personnes y ont d’ailleurs participé. Il a fallu aussi de se donner les moyens d’aller vers les personnes plus isolées et qui ne sont pas dans des associations.
La présidente de AIDES rappelle les trois objectifs du week-end : permettre l’expression des besoins des PVVIH, faire un état des lieux des recommandations actuelles et les comparer avec ce qui se passe en vie réelle et élaborer ensemble des propositions concrètes qui permettent d’améliorer notablement l’existant.
« L’épidémie est toujours là et la perspective d’une fin de l’épidémie en 2030 s’éloigne de plus en plus », déplore Camille Spire. Par ailleurs, le VIH reste un « bruit de fond ». Le VIH n’est pas un virus comme les autres, a rappelé Camille Spire. Du reste des personnes font toujours part d’actes de sérophobie, démontant, si besoin était, que le VIH fait toujours l’objet d’un traitement à part. Pourtant, le VIH tend à disparaître de la sphère publique, loin dans les discours, de moins en moins présent dans certains esprits. « Nous avons la responsabilité de ne pas participer à son invisibilisation » insiste la militante. Ne laisser personne derrière, ne pas parler à la place des autres, tels sont les enjeux. La présidente de AIDES rappelle les fondamentaux des Principes de Denver (voir encart 1). Et Camille Spire de conclure : « On a besoin de vous. Si nous voulons que les besoins des personnes vivant avec le VIH soient entendus, c’est à vous de jouer ».
« On a tous et toutes un petit pouvoir Magic Johnson »
« Je vis avec le VIH depuis 28 ans, je suis heureuse de vieillir et d’être là ». Ce sont avec ces mots forts que Florence Thune commence son discours. La directrice générale de Sidaction rappelle que c’est la première fois depuis 2004 (20 ans) qu’un rassemblement de PVVIH de cette envergure a lieu en France, avec des personnes venues de toutes les régions du territoire hexagonal et des DROM/TOM. Florence Thune remercie les organisateurs-rices, les participants-es et elle a une pensée particulière pour nos disparus-es : « Ils et elles sont trop nombreux à ne plus être là aujourd’hui ».
Tout comme Camille Spire, la directrice générale de Sidaction rappelle l’importance de la mobilisation communautaire : « Tous les acquis et les victoires obtenus l’ont été parce que les personnes concernées se sont mobilisées ». Enfin, Florence Thune rappelle l’importance du témoignage et de la visibilité avec cette jolie formule : « Il est nécessaire que nous laissions à notre charge virale le privilège d’être indétectable mais que, de notre côté, nous puissions continuer à être visibles ». La militante se souvient d’ailleurs de son soulagement lorsqu’elle a entendu le basketteur américain Magic Johnson parler publiquement de sa séropositivité. Et parce que chaque vécu compte et chaque témoignage fait avancer les mentalités, Florence Thune conclue avec un message d’empowerment : « On a tous et toutes un petit pouvoir Magic Johnson ! ».
« Il faut trouver des forces pour reprendre nos droits »
Deux personnes vivant avec le VIH et membres du comité de pilotage des EGPVVIH ont pris la parole. Damien Horvath, militant à Lyon à l’ALS, a témoigné de ce que la lutte contre le VIH a amené dans sa vie de positif et notamment la rencontre avec son mari en 1993, lorsqu’il était chez AIDES : « Nous étions un couple sérodifférent et trente plus tard, nous sommes toujours ensemble (…). La séropositivité m’a transformé », raconte le militant.
De son côté Corinne Lakhdari, travailleuse sociale communautaire chez Act Up-Paris, a partagé ses espoirs pour ce week-end : « Je vis avec le VIH depuis 37 ans et je sors d’un cancer ». « Je vieillis avec le VIH, même si je n’en ai pas l’air », s’est-elle amusé avant d’expliquer : « Aujourd’hui plus que jamais, il faut trouver des forces pour reprendre nos droits ». La militante n’oublie pas non plus « nos disparus-es » : « J’ai une grosse pensée pour les survivants et ceux qui ne sont plus là. Essayons de faire des recommandations puissantes ».
Qui sont les personnes vivant avec le VIH aujourd’hui en France ?
C’est à cette question cruciale que s’est intéressée Dominique Costagliola, membre de l’Académie des sciences. Directrice de recherche émérite INSERM et membre qualifiée du Conseil d’administration de AIDES. En 2021, selon les données de la CNAM (SNDS), 159 400 personnes vivant avec le VIH étaient suivies en France dont 34 % (54 600) de femmes et parmi lesquelles 41 % sont suivies en Île-de-France. Ce calcul est basé sur les personnes qui ont eu au moins un remboursement de traitement VIH par la Sécurité Sociale en 2021. Il ne prend pas en compte les personnes vivant avec le VIH non diagnostiquées. Parmi ces 159 400, 91 % sont en ALD et 4 % ont plus de 75 ans.
Dominique Costagliola a présenté d’autres données issues de la mise en commun de deux cohortes ANRS C04 FHDH et C03 Aquivih. En 2021, dans ces deux cohortes, 111 371 PVVIH étaient suivies à l’hôpital (les personnes suivies en ville ne sont donc pas incluses). On comptait 65 % d’hommes, 35 % de femmes et moins de 1% de personnes trans (qui sont mal identifiées et probablement sous estimées dans ces cohortes d’après l’experte). La prévalence (nombre de personnes vivant avec le VIH par rapport à la population générale) était la plus forte en Guyane, en Île-de-France, en Guadeloupe et en Martinique. Plus d’une femme sur deux vivant avec le VIH en 2021 était née en Afrique subsaharienne et 57 % des hommes étaient HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes). L’année moyenne du diagnostic de VIH était 2005 pour les hommes (dont un quart avant 1995) et 2004 pour les femmes. 93 % des hommes, 91 % des femmes et 89 % des personnes trans avaient une charge virale indétectable. La moyenne des CD4 se situait entre 650 et 700CD4/mm3 et 70 % des PVVIH suivies avaient des CD4 à plus de 500 CD4/mm3. Autre donnée rassurante, 96 % des personnes savaient ont un traitement ARV en cours.
Dans une population qui vieillit avec le VIH et qui est globalement bien suivie, Les cancers liés à l’immunodépression ont fortement baissé, mais le taux de cancers reste stable car, tout comme en population générale, les PVVIH sont confrontées aux cancers liés au vieillissement. Comparativement à la population générale, l’écart d’espérance de vie était plus important pour les femmes que les hommes et peut s’expliquer par la différence des niveaux socio-économiques et l’accès aux soins entre les personnes nées à l’étranger et celles nées en France.
Dominique Costagliola a terminé sa présentation par une mise en garde sur l’avenir de la surveillance épidémiologique en France : « Il n’est pas certain que dans le futur on puisse continuer à faire cela. Il y a une réforme en cours sur les comités de coordination de la lutte contre l’infection et le VIH dans les régions, dans lequel la place de l’épidémiologie est plus que floue. Donc, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir continuer à avoir ce type de données dans le futur ». L’experte fait référence à la réforme des Corevih (voir encart 2) qui inquiète beaucoup les acteurs-rices de la lutte contre le VIH…
« Après 35 ans de vie avec le VIH, ce n’est plus un problème, c’est une force »
Lors de la pause-café, nous échangeons avec Maurice, 58 ans qui vit à Chartres en Nord-et-Loire. Séropositif depuis 1989, Maurice explique qu’il a connu AIDES dès sa création en 1984, mais son engagement militant est venu plus récemment : « Il y a trois ans avec la Covid, j’ai eu du temps libre, surtout que je ne travaillais plus pour une raison d’invalidité. Donc j’ai frappé à la porte de AIDES, je suis devenu volontaire et aujourd’hui trésorier de la région Centre-Val de Loire ». Le militant attend beaucoup de ce week-end. L’opportunité de présenter les recommandations des PVVIH aux pouvoirs publics et aux médecins mais aussi les temps d’échanges entre personnes concernées l’intéressent : « J’aimerais écouter les autres parce que je sais que mon histoire de séropositivité depuis 1989 n’est pas la même que celle d’une personne diagnostiquée en 2021. Je voudrais apporter mon témoignage et dire à la nouvelle génération qu’après 35 ans de vie avec le VIH, ce n’est plus un problème, c’est une force. Aujourd’hui, on peut vieillir avec le VIH, faire du sport, en vivant presque comme les autres ».
« Le mot clean revient tout le temps, c’est très violent ! »
Avec l’accord des animateurs-rices et des participants-es, nous assistons à certains ateliers. Ces travaux en petits groupes permettent de favoriser l’expression de chacun-e et le débat. Le but est de ressortir avec des recommandations concrètes sur des thématiques identifiées au préalable. L’atelier intitulé « ma vie relationnelle, affective et sexuelle » est l’occasion de riches échanges dans des sous-groupes de six personnes. Les partages d’expériences sont toujours des moments forts surtout avec des participants-es venus-es d’horizons très différents. Les groupes sont principalement composés d’hommes gays et de femmes hétérosexuelles d’origine africaine. Le constat est le même pour tous-tes : Cela n’est pas facile de dire qu’on est séropositif au travail, à la famille, aux amis et dans ses rencontres amoureuses. Parfois, des réalités différentes se confrontent : « Le dire permet de se soulager », affirme un militant. « Peut-être pour vous les Français, mais chez nous les Africains-es, c’est super compliqué. Si tu dis que tu es séropo, toute la famille et les voisins sont au courant », rétorque une participante. « Si tu es sous traitement et avec une charge virale indétectable, tu n’as pas besoin de le dire à un partenaire occasionnel car tu ne lui fais courir aucun risque », souligne un autre participant. Un participant partage son ras-le bol des termes sérophobes sur les applis de drague gay : « Le mot clean revient tout le temps. C’est très violent. Et ça veut dire quoi au juste ? Que c’est sale d’être porteur d’une IST ? ».
De ces discussions naissent des recommandations : « Il faudrait une campagne nationale contre la sérophobie », « Introduire un délit de sérophobie » ou encore « plus de modération sur les applis de rencontre ». Une recommandation à destination des soignants-es : ne pas mettre la pression aux PVVIH pour parler de leur séropositivité. C’est toujours aux personnes concernées de choisir à qui et comment le dire. Et par ailleurs, en France, il n’existe aucune obligation légale de le dire. Autre reco : évaluer la fréquence des entorses au secret professionnel (quand le statut sérologique d’une personne est dévoilé à son insu) et faire un observatoire de ces entorses. La notion I = I (Indétectable = Intransmissible) revient beaucoup dans les discussions. C’est un message qu’il faut faire passer au grand public, mais aussi à nos communautés. Pourquoi ne pas en parler dans les cours d’éducation sexuelle (quand ils ont lieu…) ?
« Laisse-moi la nuit pour réfléchir, je te dis ça demain »
Cette journée riche en échanges se termine avec un diner puis un espace convivialité.
Un photobooth a été installé. Les participants-es s’amusent beaucoup à se prendre en photos seuls-es ou à plusieurs. On repart avec un polaroid qu’on pourra mettre sur son frigo ou dans le carnet de notes des États généraux.
Un peu plus loin, une piste de danse éphémère a été installée avec des stroboscopes et un DJ joue des tubes de toutes les époques. Les moins timides se lâchent sur la chanson phare des années 90, Wannabe des Spice Girls. D’autres préfèrent sortir prendre l’air ou fumer. L’ambiance est détendue, ça rit, ça débat. Un participant raconte comment l’atelier sur la vie affective l’a marqué. Il est en questionnement depuis un moment sur le fait de dire ou ne pas dire sa séropositivité de façon publique et à tout son entourage. Il sait que c’est un acte militant et libérateur. Cette question de la disance revient beaucoup dans les discussions.
Nina, la photographe de Remaides présente tout le week-end pour documenter l’évènement, a discuté avec plusieurs personnes qui aimeraient poser devant son objectif, mais qui, parfois, hésitent : « Laisse-moi la nuit pour réfléchir, je te dis ça demain ». La visibilité n’est pas une injonction et témoigner à visage découvert n’est pas possible pour tout le monde pour de nombreuses raisons. Les personnes qui ne sont pas en capacité de pouvoir être visibles portent un bracelet rouge afin de ne pas être mises en difficulté. Ne pas pouvoir être visible quand on vit avec le VIH dit beaucoup de choses de ce virus en 2024. Un virus « pas comme les autres » expliquait Camille Spire en plénière d’ouverture.
Encart 1 : Principes de Denver ; déclaration du Comité consultatif des personnes vivant avec le VIH, 1983
Un peu d’histoire. En juin 1983, lors de la cinquième Conférence nationale annuelle sur la santé des lesbiennes et des gays à Denver (Colorado), un groupe d’une douzaine de gays séropositifs en stade sida, originaires de tous les États-Unis, se réunit pour partager leurs expériences en matière de lutte contre la stigmatisation et de défense des intérêts des personnes vivant avec le VIH. « Les hommes réunis à la conférence de Denver se rencontraient pour la première fois, comparaient leurs notes et élaboraient des stratégies pour aller de l’avant et faire en sorte que leur voix soit entendue et leur expertise, en tant que personnes vivant avec le VIH/sida, respectée », rappelle le site US PLHIV Caucus. Un texte collectif en naît. « Nous sommes des PVVIH/AIDS, nous nous battons pour la vie », proclame le texte de 1983. Le principe de départ est clair, tranchant même : « Étant donné que vous ne pouvez rien faire pour sauver nos vies, écoutez au moins ce que nous avons à dire sur notre vécu de la maladie et reconnaissez-nous comme les maîtres de nos propres vies ». De là, découlent des principes qu’on peut résumer en trois principaux items :
– formez-vous, organisez-vous, choisissez-vous vos représentants-es, votre agenda, planifiez votre stratégie et organisez-vous pour répondre aux médias ;
– soyez impliqués-es à tous les stades du processus de décision, jusqu’au plus haut niveau ;
– soyez inclus-es dans tous les forums, conférences, etc. sur le sida avec la même crédibilité que les autres participants-es, pour partager votre expérience et votre savoir.
C’est un des textes fondateurs de la lutte contre le sida et de la place des personnes atteintes. C’est une des bases qui servira, bien des années plus tard, à ce que l’on appelle aujourd’hui la démocratie en santé.
Encart 2 : Les Corevih dilués dans la santé sexuelle ?
La réforme des Corevih par la Direction générale de la santé (DGS) a repris son cours. L’administration a annoncé aux acteurs-rices de la lutte contre le VIH son souhait de transformer les Corevih en CORESS : Comités régionaux de coordination de la santé sexuelle, actant ainsi leur élargissement au champ de la santé sexuelle.
Dans ce cadre, la future instance devrait être amenée à traiter notamment des violences sexuelles, de contraception et des dysfonctions sexuelles. Les mandats actuels seront une nouvelle fois prolongés jusqu’à la date de mise en place des CORESS, prévue sur le premier trimestre 2025. De nouvelles modalités d’organisation territoriales ont également été présentées, laissant, par exemple, la place à des portages non-hospitaliers de l’instance, mais amenant aussi à fusionner plusieurs Corevih entre eux sur certaines régions. De nombreux-ses acteurs-rices ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de ces réformes importantes à l’image du Corevih Arc Alpin qui a signé cet édito engagé.
Fred Lebreton pour Remaides.
Crédit photo : Nina Zaghian pour Remaides