HPV et VOH, un risque accru de cancers
Les personnes vivant avec le VIH sont plus exposées aux cancers liés aux papillomavirus, tels que ceux de l’anus, de la vulve et du vagin. L’actualisation prochaine des recommandations du groupe d’experts dirigé par le Pr Morlat laisse espérer une meilleure prise en compte de leur dépistage.
Dorothée Duchemin
Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) présentent plus de risques d’apparition d’un cancer que la population générale. À titre d’exemple, le risque est doublé, voire triplé, pour le cancer du poumon ; il est multiplié par sept pour celui du foie.
Pour d’autres cancers, notamment ceux liés à une infection aux papillomavirus (HPV), la majoration du risque s’envole. Il est multiplié par 20 pour les cancers de la vulve et du vagin et par 40 pour celui de l’anus. Chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et qui vivent avec le VIH, le risque de cancer de l’anus est d’environ 70 fois plus élevé que dans la population générale.
« Le cancer de l’anus est le 3e cancer le plus fréquent chez l’homme et le 7e cancer chez la femme dans la population infectée par le VIH », note l’Institut national du cancer (Inca). Quant au cancer du col de l’utérus, les femmes vivant avec le VIH ont six fois plus de risque d’en développer un que les autres.
Les HPV plus persistants chez les PVVIH
Pourquoi les cancers liés aux HPV sont-ils plus élevés chez les PVVIH que dans la population générale ? Pour rappel, les infections à HPV sont très présentes dans l’ensemble de la population. On estime que près de 80 % des adultes développent au moins une infection à HPV dans leur vie. Ainsi, pour l’ensemble de la population, le meilleur moyen de se protéger des papillomavirus à haut risque oncogène est la vaccination.
« De manière générale, les cancers liés aux papillomavirus semblent de plus en plus fréquents. Les cancers du vagin, de la vulve et du canal anal sont en grande majorité liés à l’infection aux HPV, explique le Pr Jean-Philippe Spano, chef de service d’oncologie médicale à la Pitié-Salpêtrière (Paris). On a aussi démontré depuis ces vingt ou vingt-cinq dernières années que les personnes vivant avec le VIH sont à plus haut risque de développer certains cancers, notamment les cancers liés aux HPV. »
Chez les PVVIH, on constate une persistance du papillomavirus plus importante. « Et ce, indépendamment de la charge virale, qu’elle soit détectable ou indétectable », précise Jennifer Pasquier, directrice scientifique à Sidaction. En effet, pour la grande majorité des cas, la charge virale des PVVIH est aujourd’hui très bien contrôlée par les traitements antirétroviraux (ARV).
Une interaction délétère entre HPV et VIH
Dans la population générale, on estime à deux ans le délai qu’il faut au système immunitaire pour contrôler et diminuer la virulence des HPV. Mais dans 10 % des cas, le virus persiste et entraîne, dix à quinze ans plus tard, la survenue de lésions précancéreuses puis cancéreuses.
« Le fait d’être infecté par le VIH semble favoriser la persistance du HPV au sein des muqueuses notamment. Le virus est donc moins bien éliminé quand on est infecté par le VIH », pointe Marianne Veyri, coordinatrice de la recherche clinique du service d’oncologie médicale à la Pitié-Salpêtrière et cheffe de projet du réseau CancerVIH. Et plus l’exposition aux HPV est longue, plus le risque de survenue de lésions précancéreuses puis cancéreuses – si ces dernières ne sont pas traitées – est important.
L’immunodépression n’est pas en cause, mais une interaction délétère entre les deux virus, HPV et VIH, responsables d’une mauvaise immunité locale, au niveau des muqueuses. « Cette interaction entre les deux virus peut faire le lit d’un processus de carcinogenèse. Elle entraîne des anomalies au niveau des cellules (vagin, canal anal, vulve) et créer des lésions précancéreuses. D’où l’importance du suivi régulier des patientes et des patients », analyse le Pr Spano.
Zoom sur les recommandations
Le dépistage chez les PVVIH, comme dans la population générale, doit permettre d’identifier les lésions précancéreuses liées aux infections à HPV oncogène, afin qu’elles soient traitées avant l’apparition des cellules cancéreuses. Que disent les recommandations au sujet du dépistage des cancers de l’anus, de la vulve et du vagin chez les PVVIH ? Ces recommandations, élaborées sous la direction du Pr Philippe Morlat, datent de 2017. Une actualisation sera prochainement publiée.
Pour l’heure, le dépistage du cancer anal est recommandé chez les HSH, chez toute personne ayant des antécédents de condylomes et chez les femmes ayant présenté une lésion au niveau du col. En cas d’anomalie constatée lors du premier dépistage, la périodicité doit être au minimum annuel. En l’absence d’anomalie, c’est au spécialiste (gastro-entérologue ou proctologue) de fixer la fréquence, qui ne devra pas excéder deux ans.
Si le dépistage du cancer anal s’organise de mieux en mieux en France, comment dès lors faire baisser le nombre élevé de cancers chez les PVVIH ? Pour Jennifer Pasquier, le tabou autour de la santé anale est une partie de l’explication : « Les patients n’en parlent pas au médecin et, parfois, les médecins n’en parlent pas à leurs patients. Il existe encore, en France, un tabou autour de l’anus. Il est plus difficile de diagnostiquer une lésion précancéreuse, car les patients ont tendance à la cacher. » Il est pourtant capital de ne pas laisser traîner si l’on a des doutes. « Dès les premiers symptômes, il est impératif de consulter », appuie Marianne Veyri.
Le Pr Spano pointe un autre facteur : le manque de proctologues, ces spécialistes des zones anale et rectale, et, par conséquent, une difficulté d’accès à ces médecins. « Les recommandations existent, mais, en pratique, il est difficile de les appliquer par manque de professionnels ou d’accès à ces professionnels. C’est ce que nous font remonter les associations, les patients et les praticiens. »
La vulve et le vagin oubliés
Qu’en est-il des cancers gynécologiques ? Les recommandations du rapport Morlat balisent parfaitement le parcours pour le dépistage du cancer du col de l’utérus. Comme pour le cancer de l’anus, une partie est dédiée à ce dépistage. Mais rien sur les cancers de la vulve et du vagin. Bien sûr, un gynécologue pourra visuellement surveiller la présence de lésions au niveau de la vulve. Cependant, en l’absence de recommandations, tous ne le feront pas. Et pour la surveillance du vagin, ce ne sera pas possible sans frottis.
« Le cancer anal, on en parle. Le cancer du col, on en parle. Mais il est rarement question du cancer du vagin et de la vulve, alors qu’on sait qu’ils sont des zones d’infection fréquentes des papillomavirus, précise Marianne Veyri, qui regrette un manque de sensibilisation des gynécologues. Ils font systématiquement le dépistage au niveau du col, mais pas toujours au niveau du vagin. »
Un constat qui pourrait changer avec les prochaines recommandations, ce que souhaitent nos interlocuteurs. « Nous préconisons un examen gynécologique régulier et, éventuellement, un frottis au niveau du vagin, qui n’est pas accessible visuellement, et de la vulve, précise le Pr Spano. Il est nécessaire que les patientes y soient sensibilisées, mais aussi les professionnels. Il ne faut plus négliger ces zones. On espère qu’un chapitre y sera consacré dans les nouvelles recommandations. »
Tous insistent pour que les patients aient bien accès à ces recommandations et soient informés de ce qui est préconisé pour leur suivi. « Ainsi, au moindre doute, à la moindre question, il est important d’en parler à son praticien référent VIH. Ils sont désormais très bien informés des recommandations et des bonnes pratiques », recommande Marianne Veyri.
Notes et références
Sources : CancerVIH, Inca, recommandations pour le suivi des PVVIH (rapport Morlat, 2017)
Cet article est tiré de Transversal.
Crédit photo : CC BY-SA 2.0 DEED – Jacopo Werther